Des livres comme ceux que
publient Hélène Sanguinetti sont justement de ces livres qui, poussant à la
limite leur propre affirmation d’être et de solitude peuvent nous aider à
comprendre l’impasse dans laquelle s’engage quiconque voudrait trouver le mot,
découvrir la formule, le magique abracadabra, qui ouvrirait pour chacun le sens
d’une œuvre à tort considérée comme un bloc de significations d’une densité
telle qu’il y faudrait une culture, une attention exceptionnelles pour en
pénétrer, ne serait-ce qu’un peu, les principaux arcanes.
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
mercredi 21 juin 2017
IL Y A ENCORE DE QUOI CHANTER ! DOMAINE DES ENGLUÉS D’HÉLÈNE SANGUINETTI.
lundi 19 juin 2017
SÉLECTION DÉCOUVREURS. MA MAITRESSE FORME. NATUREWRITING DE SOPHIE LOIZEAU.
CLIQUER POUR LIRE LES EXTRAITS |
Voici pour aujourd’hui ma courte présentation d’extraits du livre de Sophie Loizeau intitulé, en référence à Montaigne, Ma maîtresse forme. Le lecteur intéressé se reportera au billet que je lui ai consacré il y a maintenant quelques semaines.
Je rappelle au passage que ces extraits sont conçus pour
donner une idée de l’ouvrage et inviter les futurs participants au Prix des
Découvreurs à aller plus loin dans leur lecture. Non seulement en appréciant
l’ouvrage dans sa totalité mais en mettant les textes le plus possible en
réseau, en les faisant dialoguer avec d’autres textes reposant sur des
thématiques ou des choix formels proches, ainsi qu’en les rapprochant d’autres
formes d’art.
Sans s’abstenir bien entendu d’en repérer toutes les
ressources pour libérer les écritures et les autoriser à toujours plus
d’invention propre.
mercredi 14 juin 2017
POUR PIERRE DROGI. FULGURATION DE LA VIE.
TIEPOLO Métamorphose de Daphné détail |
Car Pierre Drogi est poète. Et
poète vraiment. Comme vraiment je les aime. C’est-à-dire poète traversé mais
aussi traversant et ce n’est pas parce que les figures que dessinent ses poèmes
sur la page ont un petit caractère mallarméen et dans leur très subtile
ponctuation jouent savamment de leur relation typographique au blanc, qu’ils ne
sont pas par-dessus tout parole et parole activée pour libérer un peu de ce
qu’offre partout, mais à nous si difficilement, le monde : l’expérience
d’une relation dégagée, désencagée, décollée de ces pancartes, affiches,
écriteaux par quoi la pensée puis sa langue se condamnent à la seule et triste
gymnastique des mots.
Mouvement en profondeur du cœur
qui accueille et répond, la poésie de Pierre Drogi, bien que nourrie d’une rare
culture, est un « fluide simple »,
une circulation d’énergies prises on peut dire à toutes choses qui de chaque
recoin de la création viennent s’y mélanger, s’y échanger, jouir de leurs
métamorphoses pour nous arracher aux fausses certitudes des identités arrêtées et
relancer l’infini commerce que nous n’aurions jamais dû suspendre avec tout ce
qui de partout renverse et déborde : la vie.
mercredi 7 juin 2017
SÉLECTION DÉCOUVREURS. POUR UNE INTELLIGENCE ÉLARGIE DU VIVANT. NÉ SANS UN CRI D’AMANDINE MAREMBERT.
CLIQUER POUR OUVRIR LE PDF |
J’ai pu il y a quelque temps dire
sur ce blog tout le bien que je pensais du livre d'Amandine Marembert que nous avons choisi pour figurer dans la
nouvelle sélection du Prix des Découvreurs qui sera lancée dans les classes en
septembre prochain. Et je reste intimement persuadé que cet ouvrage sera pour
les jeunes à qui nous le proposons plus qu’une simple découverte d’écriture. Il
sera sûrement l’occasion pour eux de réfléchir à la manière dont les vies,
toutes les vies, sont prises dans des formes et à la nécessité qui est la nôtre
de faire l’effort d’entrer le plus possible dans la grammaire parfois bien différente
des autres si nous voulons parvenir à une intelligence élargie du vivant.
Je le répète : la beauté du
livre d’Amandine Marembert n’est pas réductible à sa dimension anecdotique,
psychologique ou médico-sociale. Elle est politique, philosophique et
artistique. En un mot poétique dans la mesure où chaque page y est exemplairement
vécue comme une tentative de rejoindre par la parole ce qui reste pour nous
sans mots. Ce monde « hiéroglyphe »
et singulièrement autre qui ne communique avec nous qu’à travers sa
respiration. Ses gestes. Ou le profond remuement qu'il nous faut bien apaiser de son silence.
lundi 5 juin 2017
SÉLECTION DÉCOUVREURS. GÉNÉROSITÉ DES MORTS. LAME DE FOND DE MARLÈNE TISSOT.
CLIQUER POUR DECOUVRIR LES EXTRAITS |
« Je voudrais écrire mieux » affirme
Marlène Tissot dans Lame de fond,
l’ouvrage que nous venons de sélectionner pour l’édition 2017-18 du Prix des
Découvreurs. Certes, malgré tout le talent dont un auteur peut disposer, il lui
est difficile de hausser sa parole au-dessus des clichés qui s’offrent
spontanément et de trouver les mots qui parviennent à répondre à l’appel que
nous adressent les êtres et les choses par lesquels nous faisons parfois
l’expérience de nous sentir traversés.
Alors, dire
ce qu’une jeune vie doit à une autre qui vient de disparaître et tenter de la
reconstituer vivante au cœur d’un petit livre d’une soixantaine de pages, est
une entreprise dont chacun comprend bien à quelles nécessités intérieures elle
correspond et à quelles impossibilités bien sûr elle se heurte. Mais là est le
combat depuis toujours de la littérature. D’affronter sa propre impuissance. Et
de la cendre des mots tout faire pour qu’en rougeoie à l’intérieur de nous les
braises.
Lame de fond de Marlène Tissot, comme l’indique clairement
son titre, est de ces livres portés par un désir et une maîtrise de parole qui parviennent
justement à retenir un peu de ses chaleurs et de son mouvement à la vie qui
déserte. Non à ressusciter bien sûr les temps ou les êtres pour toujours
en-allés mais à les constituer quand même en vibrants paysages. Dans la
perception juste et émotionnellement vérifiée de leurs distances. De leur
durable et émouvante interpellation.
À la lecture
de ce beau livre, un jeune lecteur comprendra peut-être alors comment la quête
de l’autre peut conduire à une redécouverte en profondeur de soi. Et quelles
forces vives se communiquent parfois du souvenir des morts qui ont su nous aimer.
Peut-être
aura-t-il ainsi la chance de comprendre que nous ne sommes jamais seuls et que
ceux qui sont condamnés à mourir vraiment sont ceux dont personne jamais plus
ne se souvient. D’où la nécessité de se poser et reposer sans cesse la même question
du sens que nous voulons donner à notre propre vie et de l’importance de ce que nous devons à ces morts généreux qui, n'ayant jamais de leur vivant tenté de nous soumettre aux tristes obligations de la réussite sociale continuent de nous encourager à « avancer dans la bonne direction ».
NOTE :
Les extraits que nous proposons
ici de lire seront repris dans le dossier final de l’édition 2017-18 du Prix
des Découvreurs qui devrait être disponible début juillet.
mardi 30 mai 2017
HOMMAGE AUX TRADUCTEURS. 4 POÈMES DE SUSAN WICKS.
Les Ménines Picasso-Velasquez |
Le hasard a voulu que je découvre
il y a quelques mois le travail de la poète et traductrice anglaise Susan Wicks. Cette dernière qui, après avoir introduit dans sa langue un certain
nombre d’ouvrages de Valérie Rouzeau, travaille actuellement sur l’œuvre
d’Ariane Dreyfus, m’est encore mal connue mais je souhaiterais lui rendre
aujourd’hui un rapide hommage. En proposant de découvrir sur ce blog 4 de ses poèmes où les choses du quotidien forment la matière émouvante d’une poésie toute
d’ouverture et de pénétrante sensibilité.
CLIQUER POUR LIRE |
Nous ne rendons jamais assez
hommage aux traducteurs. Et comme elle nous apparaît stupide cette idée que la
poésie est intraduisible et qu’une œuvre traduite ne saurait tenir lieu de
l’original. De fait, lecteurs, nous ne faisons que traduire. Tant il est
évident que le texte source que nous lisons, même s’il se trouve écrit dans la
langue que nous considérons nôtre, ne prend corps en nous, couleur et sens
qu’en se voyant reconfigurer par la mystérieuse et complexe machinerie de notre
intelligence mémorielle propre et se trouve forcé d’entrer en résonance et
dialogue avec l’ensemble des réseaux singuliers de connotations et de
significations que notre histoire, notre sensibilité et notre éducation ont
plus ou moins profondément tissés à l’intérieur de nous.
Est-ce à dire alors, comme le
fait le célèbre narrateur du Temps retrouvé, que chaque lecteur n’est jamais que le lecteur en miroir de lui-même ?
Et qu’ainsi nous tournerions en rond dans notre cercle particulier de
représentations ou de préoccupations ? Sans doute. Mais on aurait tort
d’en oublier que de l’un à l’autre, du texte de l’auteur à l’image qu’en
produit le traducteur/lecteur, tout un travail d’accommodation en direction des
choses, d’ouverture et de stimulation de nos propres puissances de création,
s’effectue. Par quoi nous éprouvons la réelle fraternité qui nous attache aux
autres et élargissons, approfondissons cet espace de particularités qu’est,
c’est vrai, notre monde. Tant heureusement nous sommes, à travers la parole,
des êtres étirables, modulables. Plastiques.
Oui. Si le texte est un peu miroir, c’est un miroir aimanté. Qui m’affecte et m’oblige
en partie à sortir de moi-même. Mieux : à redéfinir et reconstruire, à
chaque fois les limites et les conditions de ma propre altérité.
Alors, d’évidence, nous ne
pouvons que nous réjouir que l’inlassable travail des traducteurs ait fait
paraître devant nous ces d’œuvres dont le manque rendrait notre paysage
intérieur autrement plus étriqué et misérable qu’il n’est. Oui, et ce n’est pas
un cliché de le dire et le redire, que serais-je sans les traductions d’Homère
et de la Bible ? Et tout le travail de pensée et de sensibilité que ces
grandes œuvres traduites ont généré au cours des siècles dans toutes les
langues de la terre.
Hommage donc aujourd’hui aux
traducteurs, compatriotes de l’ailleurs, qui augmentent le monde. Font de
l’altérité leur propre et nous offrent la possibilité de nous inventer et de
nous réinventer sans cesse au contact de toutes les œuvres, les grandes comme
les plus modestes, qui composent le chant multiple, toujours recommencé, de la
plus belle part, vraiment, de notre humanité.
samedi 20 mai 2017
AU NOM DU NORD, DU SUD, DE L’EST & DE L’OUEST. UN LIVRE MERVEILLEUX D’ALAIN NOUVEL.
Fortement ancrées dans ce pays qu’on
nomme aujourd’hui avec un peu d’inexactitude tant historique que géographique, la
Drôme provençale, et plus précisément entre Nyons et Rémuzat pour ce qui est de
la ligne est/ouest et de Rosans à Buis les Baronnies pour la ligne nord/sud,
les histoires d’Alain Nouvel sont des histoires de lieux et de maisons, de
paysages et d’habitations, d’ouvertures et de passages. Mais toutes pénétrées d’attentes et
d’interrogations, de présences et de dissolutions en nous, du monde, elles
plongent au plus profond de nos inextricables et pourtant nécessaires opacités.
Et je plains ceux qui n’y verraient que pages joliment ou pittoresquement
enfermées dans le cadre étroit d’une littérature régionaliste.
« Dans un paysage, l’unité des parties, leur forme, vaut moins que leur
débordement ; il n’y a pas de contours francs, chaque surface tremble et
s’organise de telle manière qu’elle ouvre essentiellement sur le dehors »
écrivait dans l’un de ses touts derniers livres le regretté Michel Corajoud. Et
c’est ce débordement des surfaces qui me semble prévaloir dans ce groupe de
sept nouvelles plus merveilleuses que fantastiques qu’on pourrait tout aussi
bien appeler poèmes en prose que le lecteur découvrira dans ce beau petit livre
que les toutes jeunes et talentueuses éditions des Lisières nous proposent.
Ce n’est pas seulement que les
personnages ou les lieux ne restent pas enfermés, chacun dans leur histoire
mais voisinent et aussi se retrouvent dans l’histoire des autres. C’est qu’il
s’y agit bien plutôt d’une même conscience épandue, dispersée, et puis osons
le mot, d’une âme, que sa plasticité, sa vibrante sensibilité fait diversement
s’orienter – comme l’indique le titre - attentive qu’elle est aux
sollicitations multiples et premières du vivant.
CLIQUER DANS L'IMAGE POUR LIRE UN EXTRAIT |
Inspiré sans nul doute par le
Giono des Vraies richesses, pour nous
contenter d’un titre particulièrement explicite, l’ouvrage d’Alain Nouvel, nous
ramène constamment à l’essentiel. Qui est le sens et le rythme que nous voulons
donner à nos vies à travers le choix que nous faisons de notre relation au
temps, aux choses, aux êtres, aux forces simples et naturelles de la vie. Cela
commence par la recherche d’une autre forme de silence capable de nous délivrer
de ces bruits de fond que la société actuelle amplifie de manière à provoquer
partout l’hystérie, l’agitation, nécessaires au maintien de systèmes
économiques basés sur le surtravail et la surconsommation. Cela se termine par
l’apologie d’une forme buissonnante et buissonnière de la lecture, puis par l’évocation
exaltée du sentiment de chaleur et de liberté que donne par la musique et le
chant, un trio de sirènes faisant entendre au narrateur « qu’il y a de la joie à vivre, à créer sans
jamais se conformer, sans se laisser enfermer, à ne pas rester passif mais à
danser, danser, danser avec son corps vivant jusqu’à plus d’heure, à plus soif,
à plus de souffle ».
Alors, je ne sais si Alain Nouvel
est musicien ou philosophe. Ou les deux à la fois. J’ignore malheureusement tout
de lui. Jusqu'à son âge. Que j’imagine cependant proche du mien. Ne serait-ce
que, me semble-t-il, il faut avoir quand même un peu vécu et faire l’expérience
en soi de bien des choses pour devenir capable de préférer à la pure, solide et
solaire définition de chaque chose qu’il semble avoir aussi cherché, sa
vaporeuse et tourbillonnante aura. Et de parvenir comme il fait à travers la
danse du langage à nous en faire éprouver la présence, impalpable et sans mots.
Voir sur Terres de femmes, une pénétrante lecture d'Angèle Paoli.
Voir sur Terres de femmes, une pénétrante lecture d'Angèle Paoli.
vendredi 12 mai 2017
NOTRE ENGAGEMENT VÉRITABLE. POUR UNE PÉDAGOGIE DU DÉSIR. NON DE LA CERTITUDE.
Moment de lecture animé par Justine Francioli au Lycée Wallon de Valenciennes. Photos de Maxime Delporte. |
« Il y a poème seulement si une forme de vie transforme une forme de
langage et si réciproquement une forme de langage transforme une forme de vie. »
C’est dans cette perspective dont j’emprunte ici la formulation au Manifeste de mon ancien professeur Henri
Meschonnic, que les Découvreurs conçoivent l’essentiel de leurs interventions.
Tant nous pensons que les jeunes ont besoin de parole. Non d’une parole qui
impose, subjugue mais d’une parole qui relie. Nourrisse et émancipe.
Accablé de messages, subliminaux
et autres, notre esprit n’a pas besoin qu’on cherche à l’embrigader davantage.
Il a besoin d’oxygène et d’échange. Et qu’on lui montre de quoi il est, sans
toujours le savoir, capable. Il lui faut pour cela l’impulsion qui l’amène à prendre
conscience et plus encore à s’émerveiller de ce pouvoir que nous avons, non
simplement de sentir, de nommer ou de décrire le monde mais de lui donner sens,
de le constituer en représentation, de lui donner poétiquement figure, pour
nous le rendre quand même un peu plus habitable.
Grâce aux libérateurs que sont,
pour l’esprit et la sensibilité, devenus aujourd’hui les poètes, multiples sont
les voies qui s’ouvrent à chacun pour inventer
sa parole, opération qui comme le rappelle bien l’étymologie suppose qu’elle puise
aussi bien en soi que hors de soi, dans le monde mais dans la
langue aussi, les éléments qui lui sont nécessaires.
Mais essentiel est d’abord le
désir capable d’entraîner à ne pas simplement reproduire. Pour dire à
l’unisson. Avec la voix toujours un peu étouffante des autres. Et c’est ce
désir avant tout d’une parole qui se cherche et doit apprendre à se trouver que
les rencontres que nous proposons tentent de susciter.
Travaux d'élèves autour des Découvreurs au CDI de Bruay la Buissière avec Delphine Cuvellier |
Nous ne cherchons pas justement dans
les classes à repérer ces futurs Andromède de sous-préfecture dont se moquait à juste titre le peu sympathique
Claudel. En encourageant ce dévoiement sentimental qui fait les fausses lyriques, ces emportements indignés, ces compassions comme ces célébrations affectées
qui passent encore trop souvent pour le propre de la sensibilité poétique, certains
trahissent leur mission qui n’est pas de favoriser les comportements de
connivence, les soumissions hypocrites à des valeurs de façade, mais
d’apprendre à chacun à s’envisager dans sa propre distance. Il y a une morale
de l’écriture. Qui est de soucieux nouages. Entre les mots et les choses. Entre
les autres et nous-mêmes. Entre l’expérience directement vécue et celle qui ne
passe que par l’imaginaire. Entre ce que je voudrais dire et ce que je suis
capable de dire. Entre ce que je croyais dire et ce que je dis vraiment. Entre
mensonge et sincérité, honnêteté et imposture, c’est à dire entre tous les
degrés de l’adhésion ou de la complicité à soi-même dont nous sommes capables
...
Un groupe d'élèves de Jean-Bart Dunkerque avec Eric Davenne |
Allez ! La tête encore toute
prise des belles réalisations des uns et de la chaleureuse et audacieuse
participation des autres, j’avais entrepris ce billet pour témoigner de ma
reconnaissance envers l’accueil que m’auront accordé les élèves et leurs
professeurs des lycées Wallon de Valenciennes, Carnot de Bruay la Buissière et
Jean-Bart de Dunkerque où je viens de me rendre ces jours derniers en compagnie
pour le premier nommé de Geneviève Peigné. Et voilà ce que fait finalement la
parole. Elle entraîne. Détourne. S’échappe. Heureusement aussi elle revient. Alors
oui revenons ! Que je puisse redire à quel point j’ai été heureux de partager
avec tous ces jeunes et je le dis encore avec leurs bien valeureux professeurs,
cette expérience de rencontres dont j’ai le bon espoir qu’elles soient
parvenues à nous faire oublier l’accessoire et l’anecdotique pour nous
maintenir bien au-dessus de toutes nos prétendues certitudes au niveau des plus
vivifiantes et joyeuses curiosités.
mardi 9 mai 2017
SÉLECTION 2018 DU PRIX DES DÉCOUVREURS. MA MAÎTRESSE FORME DE SOPHIE LOIZEAU.
Moabi photo de Jake Bryant |
Les
habitués de mon blog, ceux aussi qui ont applaudi à la sélection que nous
avons faîte en 2016 de l’extraordinaire livre de Laurent Grisel, Climats, se diront sûrement que c’est en
raison de son appartenance revendiquée au genre aujourd’hui bien reconnu que
l’on désigne sous l’appellation d’origine américaine de « naturewriting » que je m'intéresse ici au livre de Sophie Loizeau, Ma
maîtresse forme.
Certes,
la référence que fait l’auteure à ce type d’écrit qu’on dit issu du Walden de Thoreau mais dont les éditions
José Corti nous ont montré qu’on pouvait en trouver la source dans des écrits
bien antérieurs, ne serait-ce que ceux du naturaliste William Bartram dont j’ai pu évoquer jadis l’admirable figure, cette référence dis-je, a bien provoqué
chez moi une attente particulière que le titre emprunté à une des formules les
plus célèbres de Michel de Montaigne ne pouvait que renforcer.
Après
lecture toutefois, je dois admettre que si l’esprit général de ces naturewritings imprègne bien la suite de
poèmes qui compose le livre de la talentueuse Sophie Loizeau, ces derniers ne
me procurent pas vraiment, faute sans doute d’ampleur et d’approfondissement,
ce sentiment bouleversant d’unité cosmique qui fait qu’il m’arrive de me sentir
traversé par les mêmes énergies que nous sentons à l’oeuvre dans chacun des
éléments de ce que nous appelons la nature.
Car
il ne suffit pas de se proclamer oiseau, châtaignier, hérisson ou baleine pour
le devenir vraiment. Et il ne suffit pas d’anthropomorphiser le vivant, d’imaginer
des floraisons de narcisses venant bander au printemps les chevilles des arbres
pour que la nature dès lors enracinée en nous, vienne enfin nous parler sa
douce langue natale.
mercredi 3 mai 2017
LIRE ALEXANDER DICKOW !
Cliquer dans l'image pour ouvrir le document |
Pour prolonger l’éloge que j’ai récemment
publié du livre de Dickow, j’invite le lecteur curieux à en lire un extrait
accompagné d’un commentaire lumineux de François Huglo sur le sens des « incorrections » dont l’auteur –
qui est totalement bilingue - joue de
manière si singulière dans son texte. François Huglo se référant lui aussi dans
son billet à l’oeuvre de François Jullien, j’en profite pour recommander ici la lecture de Vivre de paysage ou l’impensé de la raison, paru chez Gallimard en
2014. Et en citer l’une des lumineuses approches qu’il fait de cette notion de
paysage que pour ma part j’élargis depuis longtemps à la relation existant
entre langue et poésie.
« Il y a paysage non seulement quand
s'efface la frontière du perceptif et de l'affectif ou que du perceptif se
révèle en même temps, indissociablement, affectif: mais aussi quand s'abolit la
coupure du tangible, physique et du spirituel et que du spirituel se dégage à
partir du physique. Le propre du paysage, autrement dit, ce qui le promeut de
pays en paysage, ce qui fait qu'il y a « paysage », est qu'il nous hisse — nous
hausse — à cette transition et la fait apparaître. Il nous élève à du
spirituel, mais dans la nature, au sein du monde et de sa perception : de ce
monde de montagnes et d'eaux que j'habite et dans lequel je me promène, à
travers ses alternances du massif et du fluide, du visible et de l'audible, de
l'opaque et du transparent. Il y a paysage quand le monde, du fait de
l'activité de ses corrélations, ouvre du dégagement en lui et nous le fait
éprouver — «dégagement» sera le terme clé. Car il y a de nos jours (c'est là
notre nouvelle tâche de pensée), non pas à renoncer à la transcendance (toute
pensée qui s'enfonce dans son déni y meurt), mais à ne plus la concevoir comme
une fuite (dans quelque autre monde) : à concevoir le « spirituel », non plus
comme de l’« Être » (s'opposant à l'écoulement du devenir), mais comme du
processuel. En quoi le paysage alors est révélation. »
vendredi 28 avril 2017
TOUS LES CLAVIERS SONT LÉGITIMES ! MACHINE ARRIÈRE DE SAMANTHA BARENDSON.
Photographie réalisée par l'artiste américaine Sally Mann |
Percevoir et déguster les différences,
entretenir nos capacités de réaction vive et curieuse face à l’heureuse
diversité aujourd’hui menacée du monde, de Montaigne voyageur à Victor Segalen,
l’exote, les grandes figures ne
manquent pas qui m’encouragent à ne pas rester prisonnier, comme disait aussi
Francis Ponge, de ma rainure humaine.
Et rien ne me déplaît tant que de voir comme à l’intérieur du petit milieu
poétique qui de cette façon ne sera jamais grand, à quel point le triste esprit
de chapelle fait que beaucoup s’appliquent – dans les limites d’invention bien
sûr hors desquelles il n’y aurait point d’art – à dupliquer le même et s’entendent
à mépriser ce qui ne ressemble pas.
Il y a loin entre le livre d’Alexander Dickow que j’ai présenté il y a quelques jours et celui de Samantha Barendson dont je
compte parler aujourd’hui. Et ce qui me retient dans cette Machine arrière que Samantha Barendson vient de publier à la Passe
du vent, n’est pas du ressort de l’inventivité formelle ou de la profondeur de
champ. De cette espèce de conjuration élargie d’intelligence qu’on trouve à
l’oeuvre dans la Rhapsodie curieuse
du poète franco-américain. Non, le mérite de la suite de poèmes simples et
courts qui compose Machine arrière
tient justement à son immédiateté. Son évidence qui fait qu’on ne s’interroge
pas sur le fond, les arrière -fonds, la préparation, les complications, les
superpositions que seraient supposée présenter chacune des lignes de ces textes
mais qu’on peut étaler ces derniers devant soi, avec tout le plaisir et la
curiosité qu’on tire d’un jeu de photographies où se lirait l’histoire bien
séquencée et pas trop difficile à reconnaître, d’une vie.
mardi 25 avril 2017
REPRENDRE PIED DANS SA PAROLE. ZONE INONDABLE DE FRANÇOIS HEUSBOURG.
BILL VIOLA LE DELUGE |
Oui nous avons besoin de parole. C’est la
vie. Et c’est le propre des poètes ou de façon plus générale de ceux qui
entretiennent une relation dynamique à la parole que de témoigner de cette
nécessité profonde dont chaque jour, pour ma part, je m’émerveille. Ne
sommes-nous pas dans tout le vaste univers connu, la seule parmi ces millions
et ces millions, ces milliards, peut-être, d’espèces vivantes, la seule à
disposer de cette capacité de prolonger notre existence en paroles. Des paroles
qui nous survivent. Et que pour les plus abouties d’entre elles et les plus
nourrissantes, nous pouvons nous transmettre de générations en générations.
Que la poésie soit une parole avant tout liée
à la vie, à cette pression que sur nous elle exerce, j’en trouve encore aujourd’hui
comme preuve le petit livre de François Heusbourg que les éditions AEncrages
& Co viennent de faire paraître sous le titre de Zone inondable. Comme l’indique le site de l’éditeur, François
Heusbourg y aborde « les inondations terribles qui ont eu lieu en octobre
2015 dans le Sud littoral », entraînant la mort de 21 personnes et
provoquant dans plus d’une trentaine de communes des dégâts considérables.
C’est en victime lui-même de cette
catastrophe que François Heusbourg élabore une parole s’efforçant de rendre
compte de cette situation proprement irreprésentable dans laquelle il se trouve
dans un premier temps plongé. Bouleversement des repères d’espace et de temps. Tout,
le corps, la pensée, les cloisons d’habitudes et les définitions d’ordinaire bien
convenues entre les choses, voilà que tout est devenu d’un seul coup différent.
Perméable. Et c’est bien comme un moment de sidération que les mots du poème
tentent de conjurer, réservant au blanc, le soin d’inonder l’espace de la page
où ne surnagent que quelques notations factuelles, des impressions déboussolées,
un sentiment particulier d’impuissance et de vulnérabilité de l’être qui finit
par n’avoir d’autre issue, après avoir tenté quelques gestes dérisoires, que de
se laisser emporter par le flot désarmé du sommeil.
lundi 24 avril 2017
UNE BIEN GOÛTEUSE CHAIR DE PAROLES. RHAPSODIE CURIEUSE D’ALEXANDER DICKOW.
MU-QI 6 kakis |
« On
ne parle pas les choses mais autour ». Non cette phrase n’est pas
tout-droit tirée de Montaigne. Elle vient du dernier livre du poète
Alexander Dickow qui, sous le titre de Rhapsodie
curieuse, semble consacré à l’éloge du kaki, ce fruit mal connu chez nous du
plaqueminier dont nous
disent les encyclopédistes il existerait dans le monde plus de 600 espèces,
sous-espèces et variétés.
Écrivons-le d’emblée. De tous les livres que
j’ai reçus dernièrement, l’ouvrage de Dickow publié
par les intéressantes et exigeantes éditions louise bottu, est sans doute celui qui m’aura
fait la plus forte impression. Procuré le plus de plaisir vrai. Et le plus
convaincu de l’intérêt de ces oeuvres de parole, qui, conduites de l’intérieur,
nourries d’une véritable curiosité et science des choses, savent profiter de
toutes les libérations produites par plus d’un siècle de renouvellements et
d’expérimentations littéraires, d’interrogations aussi sur le dire, pour ouvrir
toujours davantage nos sensibilités et nous aider à comprendre, approcher, un
peu différemment et pour en mieux jouir, l'obscure évidence ou l'évidente
obscurité du monde...
Intitulée Rhapsodie
le petit grand livre d’Alexander Dickow coud effectivement ensemble des
formes et des registres dont le rapprochement peut sembler a priori curieux.
Hymne à la diversité – celle des choses et des langues – éloge du goût et de la
connaissance, satire en creux des
conformismes auxquels nous nous laissons paresseusement aller dans nos vies
quotidiennes, réflexion philosophique sur les complexes relations existant
entre le penser et le sentir, entre le corps et l’esprit, les choses et les
mots sensés les définir ... sans oublier contes rapportés, inventés, fantaisistes,
pastiches, et surtout maladresses syntaxiques voulues, comme d’un qui viendrait
d’une autre langue, tout concourt à produire un livre totalement d’aujourd’hui,
où le lecteur bien que confronté à tout un choix décalé et délicieusement
imparfait de matières, étrangement, ne se perd pas. Se trouve à chaque page
comblé. Assuré qu’il se trouve d’être en présence d’une oeuvre véritable. Visiblement
pensée. Sentie. Portée. Riche en saveurs diverses. Multiples. Contrariées.
vendredi 21 avril 2017
AU DIAPASON DE L’ÊTRE. VOLTIGE ! D’ISABELLE LÉVESQUE.
Honneur et Vertu fleurissent après la mort Véronèse |
On ne connaît que trop bien la fameuse
expression de nos anciens romantiques – que les lecteurs retrouveront aisément,
n’en doutons pas, dans l’une des 17000 pages du Journal du
philosophe suisse Henri-Frédéric Amiel ! - selon laquelle tout paysage
est un état d’âme. Me proposant aujourd’hui de dire quelques mots d’un des
nombreux ouvrages que leurs auteurs ou leurs éditeurs – ne les oublions pas –
ont eu l’attention de me faire parvenir, il ne me semble pas inutile de partir
de cette formule qui possède le mérite de souligner que les frontières n’ont
rien d’étanches entre ce que nous croyons être la pure physicalité du monde extérieur
et ce que nous envisageons comme relevant du domaine propre de nos singulières
intériorités.
Voltige ! d’Isabelle Lévesque est de ces livres où la
perméabilité entre le dehors et le dedans qui fonde tout texte en paysage se
présente au lecteur avec la plus nette, pour ne pas dire la plus déroutante
évidence. Chaque motif ici, qu’il soit fleur, souffle, couleur, forme,
inclinaison, battement, ombre ou acuité lumineuse, y apparaît comme intimement
noué à ces tremblements intérieurs, ces palpitations vitales, ces tensions et
retentions, spasmes et contractions, libérations, volettements, halètements, vertiges, voltiges... à travers quoi s'éprouvent les diverses intensités d’une
relation amoureuse passionnément vécue.
Surgissent alors de ces compositions, une
suite de vibrations rendues d’autant plus singulières que le paysage de langue ainsi produit, par ses
condensations, sublimations, ses ruptures ou ses ellipses, s’affranchit à son
gré de l’ordre imposé des grammaires pour imprimer au poème son allant, ses pas
de danse, voire ses aériennes, diffuses et quelque peu énigmatiques acrobaties.
« En chacun tu bats »
affirme Isabelle Lévesque en référence à une longue liste de termes par elle
écrite, regroupant, comme elle dit, « l’immense et le fragile ». Et c’est bien à une sorte d’assemblage vif et libéré des contraires
que s’efforce la poésie de cet auteur qui, à travers chaque détail observé, chaque
présence retenue, tente de hisser sa parole au diapason de l’être. Afin
qu’au-delà de tout manque, de toute disparition, sa source n’en tarisse pas. Et
que tel jour d’été – mettons que ce soit un 25 août – tel moment de
la journée – mettons que ce soit un matin à onze heures – restent, comme l’est
bien le paysage, ou le bleu d’un ciel de Véronèse : ineffaçables,
inabolis. À jamais toujours-là.
vendredi 24 mars 2017
mercredi 22 mars 2017
LAURENCE VIELLE PRIX DES DÉCOUVREURS 2017.
OUF ! Non ce n’est pas un soupir de
soulagement que je pousse aujourd’hui pour marquer la fin de l’édition
2016-2017 de ce qui fut je crois la vingtième édition du Prix des Découvreurs.
Non. Cette action que nous menons grâce au concours actif de dizaines et de
dizaines de professeurs qui n’hésitent plus à faire entrer dans leurs classes
des poètes pour une fois bien vivants afin de faire comprendre à la jeunesse
qu’ils forment que la poésie s’écrit toujours au présent, qu’elle parle de
notre humanité actuelle, du monde bien réel qui nous entoure, est certes, une
tâche prenante, qui accapare une bonne partie de mon énergie et de mon temps
mais elle n’a rien d’épuisant, d’accablant, au vu surtout de tout ce qu’elle
apporte.
Non. OUF, c’est le titre qu’auront plébiscité
plus d’un tiers des jeunes qui cette année de Calais à Bastia – salut aux
élèves du lycée Vicensini – auront eu l’occasion de découvrir comment la poésie
d’aujourd’hui a pu se renouveler, étendre ses horizons, élargir ses thématiques
et multiplier ses formes d’apparition de manière à ouvrir, pour chacun d’entre
nous, de nouvelles voies dans la parole.
Le livre de Laurence Vielle qui est donc notre toute fraîche lauréate aura sûrement plu par
ce dynamisme constant qui appliqué à un vécu que chacun peut aisément
reconnaître, communique cette envie de vivre et surtout d’affronter dont les
jeunes ont tant besoin dans le monde difficile que nous leur transmettons. Sans
rien cacher des misères de ce dernier, Laurence sait replacer nos existences dans
le cadre élargi d’un univers qui ne se limite jamais aux étroites frontières du
moi, donnant ainsi de l’air à nos destinées momentanément essoufflées. Les
amenant par l’intensité de ses rythmes à redécoller. S’inventer de nouveaux
espaces. S’approprier des ressources jusque-là inédites.
Bien entendu
nous avons une pensée pour chacun des auteurs de notre sélection qui ont bien
voulu accepter de participer et de rencontrer des classes parfois bien
éloignées de chez eux. Laurent Grisel, Christiane Veschambre, Geneviève Peigné,
tout particulièrement, se sont montrés parfaits dans ce difficile exercice d’écoute,
de partage et de communication que nous avons eu le plaisir d’accompagner. Et
c’est à juste titre que leurs livres ont aussi trouvé de nombreux défenseurs.
Grâce à leur ouverture et à leur engagement, la poésie sort renforcée dans
l’esprit de nombreux jeunes mais aussi de nombreux professeurs qui en ont
découvert la vitalité, la nécessité et pris davantage conscience que cette
forme d’écriture ne peut se réduire à n’être à l’école qu’un support d’exercice
destiné à préparer les épreuves anticipées du bac.
Autre sujet
de satisfaction en cette semaine de la Langue française et de la
francophonie : après le grand poète algérien Mohammed Dib couronné en
2001, le poète liégeois Eugène Savitzkaya en 2008, la luxembourgeoise Anise
Koltz en 2012, c’est une poète bruxelloise qui remporte cette année le prix. Un
prix que par ailleurs auront aussi remporté un poète espagnol, Juan Antonio
Gonzales Iglesias et deux poètes d’origine syrienne : Maram Al Masri et
tout dernièrement cette belle figure de la résistance aux dictatures de tous
ordres qu’est Fadwa Souleimane.
Oui, nos
jeunes et les courageux professeurs qui les encadrent n’ont que faire des
limitations. Désireux de s’affranchir de ce qui, de partout, nous étouffe, ils sont
de ceux qui méritent que nous ne plaignions pas, comme on dit, nos efforts. Et
que nous poursuivions, plus convaincus que jamais, notre folle entreprise.
OUF !
À noter que
le prix sera remis le jeudi 6 avril prochain au Carré Sam à Boulogne-sur-Mer
lors de notre Journée Découvertes dont on peut consulter le programme ici.
vendredi 10 mars 2017
MAIS CE DÉSIR JAMAIS REPU DE S’INVENTER POUR VIVRE... GÉRARD CARTIER. LES MÉTAMORPHOSES
Cliquer dans l'image pour lire des extraits |
Gérard Cartier qui conclut son recueil par une « table » replaçant chacun de ses textes
à l’intérieur d’un grand dîner aux services gourmands, appréciera sûrement que
j’entame cet hommage en révélant que ses poèmes, tout comme ceux d’un poète
comme Etienne Faure, dont je le sens personnellement proche, sont à chaque fois
pour moi l’occasion d’une lente et attentive dégustation qui presqu’à chaque
mot, chaque mouvement de pensée – mais de pensée sensible – fait que je me sens parcouru de tout un
tremblement d’ondes, qu’elles s’étendent sur toutes les surfaces de
signification qu’enferme aujourd’hui mon dictionnaire intérieur, ou viennent
émouvoir les multiples souvenirs d’une vie passée à lire, écrire et surtout habiter
et apprendre à aimer le monde.
On sait qu’une telle poésie, intelligente, cultivée, nuancée et sensible
n’est plus trop pour plaire à nos contemporains. Qui se fatiguent vite à suivre
ces manœuvres de formes naviguant entre l’intelligible clarté de l’idée
rassurante et la réalité toujours un peu fuyante du sentiment qui en constitue le
tissu profond et tout baigné d’humeurs. Qu’importe. Nous n’écrivons pas pour
les analphabètes. Qui au passage ne sont pas toujours ceux qu’on pense. Et
peuvent être parfois, plus que nous, cuirassés de diplômes.
Les
Métamorphoses de Gérard Cartier ne sont pas de ces livres que nourrit une réalité bien
précise. Qu’ils s’acharnent à épuiser. À circonscrire. C’est au contraire un
livre d’expérience par lequel l’auteur se livrant au langage, à l’aventure de
la parole, cherche en quelque sorte à illimiter
ses possibles, libérer ce qui peut toujours et encore en lui et par lui se
dire. La hantise d’être vivant. Et de
se réjouir de voir. Savoir. Approcher et toucher. Écouter et entendre. Goûter à. Tout ce qui,
bien entendu, se trouve à portée, ou pas, dans le monde.
Le titre des principales parties du livre fournit en quelque sorte le
programme de cette jouissive et dévorante entreprise : Épouser le monde (partie 1), Faire de soi sa discipline (partie 2), Cultiver ses vices (partie 3), Donner sens au chaos (partie 4), Hasarder tous les sentiments (partie 5),
Multiplier les formes (Partie
6).
Des verbes donc. Des verbes. Et des résolutions. Car il y a urgence encore
à vivre. Surtout pour « qui passe /
Sur un pied la frontière de l’âge et vacille / De son lourd vin d’aînesse ».
Et se découvre « si tardif à
célébrer le monde et courir après le temps ».
Peut-être qu’on l’aura compris sans que j’en dise maintenant davantage.
Le livre de Gérard Cartier est de ces livres éternellement jeunes que seuls
écrivent ceux qui en arrivent au point d’avoir à compter sur leurs doigts les
belles et courtes années qu’il leur reste à bien vivre.
Sans crainte d’avoir à quitter bientôt – c’est notre lot - la salle du banquet dont ils auront sur le
papier su recueillir les restes : Bénie
la table et les longs amis....
mercredi 8 mars 2017
GÉNÉROSITÉ DE L’ATTENTION. RENCONTRES AUTOUR DE LA POÉSIE AU LYCÉE ARTHUR RIMBAUD DE SIN-LE-NOBLE.
Le groupe d'élèves de Secondes du lycée Rimbaud de Sin-le-Noble |
Oui, patente, c’est ainsi que je qualifierai l’attention avec laquelle les
jeunes gens du lycée Arthur Rimbaud de Sin-le-Noble ont accueilli
l’intervention que nous venons d’y effectuer Geneviève Peigné et moi dans le
cadre de leur participation au vingtième Prix des Découvreurs.
On sait que l’attention, la
capacité d’attention des jeunes est de plus en plus difficile à capter de façon
autre que superficielle, tant on les a habitués, conditionnés, à répondre aux
mille et une éphémères et débiles sollicitations des objets, des images
qu’entretient une société qui tend à les plonger dans un état de plus en plus
visible chez certains de confusion et de dispersion mentales.
Et c’est vrai que, pour reprendre
les mots qu’employait, à la fin du XIXème siècle, dans son maître
livre, le philosophe et psychologue américain William James,
« sans intérêt sélectif,
l’expérience est un pur chaos ». Seules les choses que je
remarque, en m’appuyant sur une certaine
concentration de ma conscience, forment mon esprit, constatait-il.
Nous ne pouvons alors qu’être
heureux d’avoir bénéficié de cette capacité des jeunes que nous venions rencontrer à se focaliser sur ce nous avons tenté avec
plus ou moins de bonheur de partager avec eux. Ce qui est assurément la marque
d’esprits, de personnalités, réellement attachés à leur propre et durable enrichissement.
Et comme le déclarait la grande Simone Weil une preuve authentique aussi de
générosité.
Et nous félicitons bien
chaleureusement les responsables de l’établissement ainsi que leur professeur
de lettres, Madame Fanny Cambron Huvelle, à qui sûrement ces jeunes doivent
d’avoir pu manifester devant nous leurs hautes qualités.
mercredi 1 mars 2017
OÙ SE TROUVE TOUJOURS LA POÉSIE. TÉMOIN DE SOPHIE G. LUCAS.
vendredi 24 février 2017
PARMI TOUT CE QUI RENVERSE. UN MONDE OUVERT PAR LA PAROLE.
CLIQUER POUR SE RENDRE SUR LE SITE DE L'EDITEUR |
Je me
permets d’annoncer la sortie de parmi
tout ce qui renverse aux éditions du Castor Astral.
Merci tout
d’abord à Jacques Darras et à Jean-Yves Reuzeau d’avoir sauvé ce livre que la
malencontreuse disparition, en janvier 2016, des éditions de l’Amandier - où il
devait, grâce au concours du CNL, primitivement paraître – risquait de condamner à ne voir le jour qu’après
de longues années encore de sommeil et d’attente.
Je n’accable
pas les revues, comme les maisons d’édition, de mes propositions. C’est
pourquoi, occupé le plus souvent à tenter de donner ce que je peux de
visibilité aux livres et aux auteurs que j’estime, je me sens autorisé
aujourd’hui à demander aux lecteurs de ce blog qu’ils prêtent un peu
d’attention à l’ouvrage que je propose et l’aident ainsi à échapper à la
cruelle indifférence qui frappe en général le travail des poètes.
Je le dois
tout d’abord à la maison qui m’accueille. Ensuite à toutes les ressources de
vie et de pensée que l’écriture de ce livre m’aura conduit sur tant d’années à
employer.
parmi tout ce qui renverse, sous-titré
Histoire d’Il, vient prolonger et terminer la phrase commencée avec Compris dans le paysage (Potentille,
2010), complétée par avec la terre au
bout (Atelier La Feugraie 2011) et emprunte un peu de sa forme générale à Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme
de Charles Augustin Sainte-Beuve ! Oui. C'est en effet à ce livre
injustement méprisé qu'on doit, au moment où naît ou va naître notre poésie
moderne, de voir pour la première fois le poète se dégager de la coûteuse
illusion de la transparence du sujet pour inventer et induire une lecture
"romanesque" de la poésie
lyrique.
jeudi 23 février 2017
INQUIÈTE PRÉOCCUPATION D’HUMANITÉ. NÉ SANS UN CRI D’AMANDINE MAREMBERT.
"Je
suis professeure de français. J'apprends à mes élèves à mieux parler et à mieux
écrire. Pour autant, je ne sais comment t'apprendre à parler cette langue
étrangère que sont les mots, pour te rendre le monde moins imprévisible et
effrayant. C'est toi qui m'enseignes la grammaire de tes gestes, la syntaxe de
tes postures, la ponctuation de tes respirations, l'accentuation de tes
sourires. C'est toi qui m'apprends à lire, écrire et compter tes
silences."
Bien sûr, il
est important de voir le beau livre d'Amandine Marembert comme un tendre et
douloureux témoignage de mère confrontée à l'énigme de son enfant autiste. Et
j'entends bien ce que me dit l'auteur des difficultés de tous ordres qui du
plan matériel, institutionnel au plan psychologique, intellectuel voire même
métaphysique, jalonnent le parcours d'une vie radicalement transformée par la
nécessité d'avoir à se continuer, se déployer, s'approfondir, le cœur saisi
d'une telle détresse.
samedi 18 février 2017
ABATTOIRS. ON N'A PAS LE DROIT DE COMBINER LES MAUX DE L'ÂGE ATOMIQUE AVEC LA SAUVAGERIE DE L'ÂGE DE PIERRE !
CLIQUER DANS L'IMAGE POUR DECOUVRIR LES TEXTES |
On appréciera,
j’espère, la largeur de vue de la Dame de Mount
Desert. Et comme elle s’y montre capable de donner sens à une forme d’habitation
du monde dont il semble que nous nous
éloignions chaque jour à grands pas.
Nous avons
complété ses propos par un extrait tiré de l’oeuvre de Jean-Christophe Bailly dont
nous ne saurions trop recommander sur le sujet, le livre intitulé Le Versant animal.
Et pourquoi
ne pas redécouvrir aussi l’extraordinaire ouvrage d’Upton Sinclair, La Jungle (1906), consacré aux célèbres
abattoirs de Chicago, un livre dont on dit qu’il amena le Président des Etats-Unis
de l’époque, à renoncer à consommer des saucisses à son petit déjeuner !
dimanche 5 février 2017
POUR UNE HYGIÈNE DE L’ESPRIT. UNE PENSÉE SANS ABRI. CHRISTIANE VESCHAMBRE AVEC LES LYCÉENS DE BOULOGNE ET CALAIS.
Christiane Veschambre au lycée Branly de Boulogne-sur-Mer |
L’école peut-elle se limiter aujourd’hui à des savoirs arrêtés ? À
la transmission de modèles ? De listes. De connaissances ou de dogmes à
réciter. Non. Et de moins en moins non ! À l’heure où la menace de l’enfermement
des esprits dans des systèmes de croyances visant à nier le droit de chacun à
sa propre différence alerte à juste titre sur ce que nous voulons sauver de nos
démocraties, il est bon de rappeler que la pensée véritable, celle qui fait
avancer, est toujours sans abri.
jeudi 2 février 2017
MERCI À LA REVUE DÉCHARGE !
Cliquer pour consulter la revue |
La
très riche et attentive revue en ligne Décharge
vient de consacrer sous la plume d'un de ses principaux animateurs, le poète
Claude Vercey, une intelligente et utile présentation de notre toute récente anthologie de l'auteur bourguignon Pascal Commère.
Merci
à elle ! Et réjouissons-nous qu'existent toujours ces fidèles espaces où le travail des
poètes est vraiment accueilli dans un esprit d'ouverture qui n'exclut pas le
dialogue, éventuellement la critique et l'heureuse simplicité.
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