samedi 11 juin 2016

SAVOIR REGARDER TOUT LE VIVANT IMMENSE: WILLIAM BARTRAM (1739-1823)

The great Alatchua Savanah, dessin de Bartram
Je redonne aujourd’hui ce billet que j’ai consacré en son temps aux Voyages de William BARTRAM. Ce dernier viendra heureusement s’adjoindre, j’espère, à cette liste de compatriotes de l’ailleurs que nous entreprenons d’élargir autant que faire se peut avec les Découvreurs.

Les débuts d'année traditionnellement voués aux bilans et aux résolutions de tous ordres sont l'occasion pour chacun d'embrasser un temps plus large coloré du regret, certes, de ce que nous aurons, malgré tout, laissé à jamais échapper mais de l'espérance aussi que l'espace que nous croyons ouvert à nouveau devant nous, nous permettra, qui sait, de ressaisir un peu de ce que nous avons perdu.
C'est pourquoi nous voudrions revenir aujourd'hui rapidement sur ce gros livre des Voyages de Bartram, que les éditions Corti, ont publié en février 2013 dans leur magnifique collection Biophilia. Un tel livre de quelques 500 pages, présenté comme une édition naturaliste, ponctué de nombreuses descriptions et de longues listes botaniques a de quoi faire un peu peur.  Mais n'aura heureusement pas empêché les excellentes et nombreuses critiques qui en ont rendu compte  et dont on pourra lire une partie ici.


Nous ne proposerons donc pas une nouvelle analyse de l'oeuvre.  Nous contentant de rappeler à ceux qui n'en auraient jamais ou trop peu entendu parler que William Bartram (1739-1823) fut et reste, comme l'affirme la quatrième de couverture, l'un des premiers et l'un des plus grands naturalistes américains. Parcourant entre 1775 et 1778 un vaste territoire en partie encore inexploré, correspondant à la Caroline du Nord, à la Caroline du Sud, ainsi qu'à la Géorgie et à la partie nord de la Floride,  Bartram nous redonne de l'Amérique, l'image de ce qu'elle fut avant que le rouleau compresseur de notre civilisation industrielle, l'urbanisation et les exploitations de toutes sortes, commencées au XIXème siècle, en transforment à jamais les paysages.

Au-delà de tout intérêt historique, géographique, botanique, voire même esthétique, c'est une belle figure d'homme qui nous a retenu en priorité dans ce livre. Celle d'un homme éclairé, suffisamment armé de connaissances, d'intelligence et de sensibilité pour se faire témoin, au nom de ce que notre humanité a de meilleur, de la venue à nous d'un monde se livrant encore dans sa virginité première. Un homme respectueux de l'immense variété des formes du vivant. Capable de lire avec toute l'attention qu'ils méritent, le plus vaste et le plus impressionnant des paysages, comme la forme particulière des fruits d'une espèce nouvelle. Capable aussi de nous communiquer la singulière beauté mais aussi la compréhension, de tout ce qu'il rencontre. Tout en nourrissant  fortement le désir de nous porter à notre tour, vers ce monde, hélas en grande partie disparu, qu'il découvre.

Ce que montre aussi cet homme, et que nous rappelle fort opportunément, dans sa préface, cette autre compatriote de l'ailleurs qu'est Fabienne Raphoz, c'est qu'il n'est de paysage, qu'il n'est de monde devant nous, qu'habité par notre regard. Et qu'il ne tient qu'à nos propres structures mentales, qu'à notre éducation sensible que nous le voyions indifférent ou beau. Attirant ou inquiétant, magnifique ou terrible. 

Alors bien sûr on dira, lisant tel ou tel passage – celui par exemple où le voyageur se voit accueilli par un chef indien un peu à la façon dont le Candide de Voltaire se voit reçu au chapitre trente par le bon vieillard qui lui enseignera les vertus du travail ; celui où il se retrouve au sortir d'une rivière qu'il vient de franchir à la nage entouré de "troupeaux de chevreuils, de dindons et de tous les animaux qui peuplent ces fertiles contrées", occupé "à partager avec eux (le repas de fraises) libéralement offert par les mains de la nature" - qu'indépendamment de leurs qualités d'observation indéniables, les Voyages de Bartram sont fortement idéalisés. Comme informés par la culture chrétienne du Paradis. Sans doute. Mais n'est-ce pas ce que l'homme devrait avoir à offrir à l'homme de meilleur que de "fusionner dans le langage poétique, la réalité qu'il expose et l'idéal qu'il inspire". 

Surtout si cela l’amène à mieux dénoncer tout ce qui met à mal notre commune appartenance au monde merveilleux du vivant: les esclavages, les racismes, les violences, les guerres et les indifférences... bref, la triste mécanique humaine, manipulée, par l'intérêt. Et l'insolence, par-dessus tout, de la bêtise.

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