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Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
vendredi 24 mars 2017
mercredi 22 mars 2017
LAURENCE VIELLE PRIX DES DÉCOUVREURS 2017.
OUF ! Non ce n’est pas un soupir de
soulagement que je pousse aujourd’hui pour marquer la fin de l’édition
2016-2017 de ce qui fut je crois la vingtième édition du Prix des Découvreurs.
Non. Cette action que nous menons grâce au concours actif de dizaines et de
dizaines de professeurs qui n’hésitent plus à faire entrer dans leurs classes
des poètes pour une fois bien vivants afin de faire comprendre à la jeunesse
qu’ils forment que la poésie s’écrit toujours au présent, qu’elle parle de
notre humanité actuelle, du monde bien réel qui nous entoure, est certes, une
tâche prenante, qui accapare une bonne partie de mon énergie et de mon temps
mais elle n’a rien d’épuisant, d’accablant, au vu surtout de tout ce qu’elle
apporte.
Non. OUF, c’est le titre qu’auront plébiscité
plus d’un tiers des jeunes qui cette année de Calais à Bastia – salut aux
élèves du lycée Vicensini – auront eu l’occasion de découvrir comment la poésie
d’aujourd’hui a pu se renouveler, étendre ses horizons, élargir ses thématiques
et multiplier ses formes d’apparition de manière à ouvrir, pour chacun d’entre
nous, de nouvelles voies dans la parole.
Le livre de Laurence Vielle qui est donc notre toute fraîche lauréate aura sûrement plu par
ce dynamisme constant qui appliqué à un vécu que chacun peut aisément
reconnaître, communique cette envie de vivre et surtout d’affronter dont les
jeunes ont tant besoin dans le monde difficile que nous leur transmettons. Sans
rien cacher des misères de ce dernier, Laurence sait replacer nos existences dans
le cadre élargi d’un univers qui ne se limite jamais aux étroites frontières du
moi, donnant ainsi de l’air à nos destinées momentanément essoufflées. Les
amenant par l’intensité de ses rythmes à redécoller. S’inventer de nouveaux
espaces. S’approprier des ressources jusque-là inédites.
Bien entendu
nous avons une pensée pour chacun des auteurs de notre sélection qui ont bien
voulu accepter de participer et de rencontrer des classes parfois bien
éloignées de chez eux. Laurent Grisel, Christiane Veschambre, Geneviève Peigné,
tout particulièrement, se sont montrés parfaits dans ce difficile exercice d’écoute,
de partage et de communication que nous avons eu le plaisir d’accompagner. Et
c’est à juste titre que leurs livres ont aussi trouvé de nombreux défenseurs.
Grâce à leur ouverture et à leur engagement, la poésie sort renforcée dans
l’esprit de nombreux jeunes mais aussi de nombreux professeurs qui en ont
découvert la vitalité, la nécessité et pris davantage conscience que cette
forme d’écriture ne peut se réduire à n’être à l’école qu’un support d’exercice
destiné à préparer les épreuves anticipées du bac.
Autre sujet
de satisfaction en cette semaine de la Langue française et de la
francophonie : après le grand poète algérien Mohammed Dib couronné en
2001, le poète liégeois Eugène Savitzkaya en 2008, la luxembourgeoise Anise
Koltz en 2012, c’est une poète bruxelloise qui remporte cette année le prix. Un
prix que par ailleurs auront aussi remporté un poète espagnol, Juan Antonio
Gonzales Iglesias et deux poètes d’origine syrienne : Maram Al Masri et
tout dernièrement cette belle figure de la résistance aux dictatures de tous
ordres qu’est Fadwa Souleimane.
Oui, nos
jeunes et les courageux professeurs qui les encadrent n’ont que faire des
limitations. Désireux de s’affranchir de ce qui, de partout, nous étouffe, ils sont
de ceux qui méritent que nous ne plaignions pas, comme on dit, nos efforts. Et
que nous poursuivions, plus convaincus que jamais, notre folle entreprise.
OUF !
À noter que
le prix sera remis le jeudi 6 avril prochain au Carré Sam à Boulogne-sur-Mer
lors de notre Journée Découvertes dont on peut consulter le programme ici.
vendredi 10 mars 2017
MAIS CE DÉSIR JAMAIS REPU DE S’INVENTER POUR VIVRE... GÉRARD CARTIER. LES MÉTAMORPHOSES
Cliquer dans l'image pour lire des extraits |
Gérard Cartier qui conclut son recueil par une « table » replaçant chacun de ses textes
à l’intérieur d’un grand dîner aux services gourmands, appréciera sûrement que
j’entame cet hommage en révélant que ses poèmes, tout comme ceux d’un poète
comme Etienne Faure, dont je le sens personnellement proche, sont à chaque fois
pour moi l’occasion d’une lente et attentive dégustation qui presqu’à chaque
mot, chaque mouvement de pensée – mais de pensée sensible – fait que je me sens parcouru de tout un
tremblement d’ondes, qu’elles s’étendent sur toutes les surfaces de
signification qu’enferme aujourd’hui mon dictionnaire intérieur, ou viennent
émouvoir les multiples souvenirs d’une vie passée à lire, écrire et surtout habiter
et apprendre à aimer le monde.
On sait qu’une telle poésie, intelligente, cultivée, nuancée et sensible
n’est plus trop pour plaire à nos contemporains. Qui se fatiguent vite à suivre
ces manœuvres de formes naviguant entre l’intelligible clarté de l’idée
rassurante et la réalité toujours un peu fuyante du sentiment qui en constitue le
tissu profond et tout baigné d’humeurs. Qu’importe. Nous n’écrivons pas pour
les analphabètes. Qui au passage ne sont pas toujours ceux qu’on pense. Et
peuvent être parfois, plus que nous, cuirassés de diplômes.
Les
Métamorphoses de Gérard Cartier ne sont pas de ces livres que nourrit une réalité bien
précise. Qu’ils s’acharnent à épuiser. À circonscrire. C’est au contraire un
livre d’expérience par lequel l’auteur se livrant au langage, à l’aventure de
la parole, cherche en quelque sorte à illimiter
ses possibles, libérer ce qui peut toujours et encore en lui et par lui se
dire. La hantise d’être vivant. Et de
se réjouir de voir. Savoir. Approcher et toucher. Écouter et entendre. Goûter à. Tout ce qui,
bien entendu, se trouve à portée, ou pas, dans le monde.
Le titre des principales parties du livre fournit en quelque sorte le
programme de cette jouissive et dévorante entreprise : Épouser le monde (partie 1), Faire de soi sa discipline (partie 2), Cultiver ses vices (partie 3), Donner sens au chaos (partie 4), Hasarder tous les sentiments (partie 5),
Multiplier les formes (Partie
6).
Des verbes donc. Des verbes. Et des résolutions. Car il y a urgence encore
à vivre. Surtout pour « qui passe /
Sur un pied la frontière de l’âge et vacille / De son lourd vin d’aînesse ».
Et se découvre « si tardif à
célébrer le monde et courir après le temps ».
Peut-être qu’on l’aura compris sans que j’en dise maintenant davantage.
Le livre de Gérard Cartier est de ces livres éternellement jeunes que seuls
écrivent ceux qui en arrivent au point d’avoir à compter sur leurs doigts les
belles et courtes années qu’il leur reste à bien vivre.
Sans crainte d’avoir à quitter bientôt – c’est notre lot - la salle du banquet dont ils auront sur le
papier su recueillir les restes : Bénie
la table et les longs amis....
mercredi 8 mars 2017
GÉNÉROSITÉ DE L’ATTENTION. RENCONTRES AUTOUR DE LA POÉSIE AU LYCÉE ARTHUR RIMBAUD DE SIN-LE-NOBLE.
Le groupe d'élèves de Secondes du lycée Rimbaud de Sin-le-Noble |
Oui, patente, c’est ainsi que je qualifierai l’attention avec laquelle les
jeunes gens du lycée Arthur Rimbaud de Sin-le-Noble ont accueilli
l’intervention que nous venons d’y effectuer Geneviève Peigné et moi dans le
cadre de leur participation au vingtième Prix des Découvreurs.
On sait que l’attention, la
capacité d’attention des jeunes est de plus en plus difficile à capter de façon
autre que superficielle, tant on les a habitués, conditionnés, à répondre aux
mille et une éphémères et débiles sollicitations des objets, des images
qu’entretient une société qui tend à les plonger dans un état de plus en plus
visible chez certains de confusion et de dispersion mentales.
Et c’est vrai que, pour reprendre
les mots qu’employait, à la fin du XIXème siècle, dans son maître
livre, le philosophe et psychologue américain William James,
« sans intérêt sélectif,
l’expérience est un pur chaos ». Seules les choses que je
remarque, en m’appuyant sur une certaine
concentration de ma conscience, forment mon esprit, constatait-il.
Nous ne pouvons alors qu’être
heureux d’avoir bénéficié de cette capacité des jeunes que nous venions rencontrer à se focaliser sur ce nous avons tenté avec
plus ou moins de bonheur de partager avec eux. Ce qui est assurément la marque
d’esprits, de personnalités, réellement attachés à leur propre et durable enrichissement.
Et comme le déclarait la grande Simone Weil une preuve authentique aussi de
générosité.
Et nous félicitons bien
chaleureusement les responsables de l’établissement ainsi que leur professeur
de lettres, Madame Fanny Cambron Huvelle, à qui sûrement ces jeunes doivent
d’avoir pu manifester devant nous leurs hautes qualités.
mercredi 1 mars 2017
OÙ SE TROUVE TOUJOURS LA POÉSIE. TÉMOIN DE SOPHIE G. LUCAS.
vendredi 24 février 2017
PARMI TOUT CE QUI RENVERSE. UN MONDE OUVERT PAR LA PAROLE.
CLIQUER POUR SE RENDRE SUR LE SITE DE L'EDITEUR |
Je me
permets d’annoncer la sortie de parmi
tout ce qui renverse aux éditions du Castor Astral.
Merci tout
d’abord à Jacques Darras et à Jean-Yves Reuzeau d’avoir sauvé ce livre que la
malencontreuse disparition, en janvier 2016, des éditions de l’Amandier - où il
devait, grâce au concours du CNL, primitivement paraître – risquait de condamner à ne voir le jour qu’après
de longues années encore de sommeil et d’attente.
Je n’accable
pas les revues, comme les maisons d’édition, de mes propositions. C’est
pourquoi, occupé le plus souvent à tenter de donner ce que je peux de
visibilité aux livres et aux auteurs que j’estime, je me sens autorisé
aujourd’hui à demander aux lecteurs de ce blog qu’ils prêtent un peu
d’attention à l’ouvrage que je propose et l’aident ainsi à échapper à la
cruelle indifférence qui frappe en général le travail des poètes.
Je le dois
tout d’abord à la maison qui m’accueille. Ensuite à toutes les ressources de
vie et de pensée que l’écriture de ce livre m’aura conduit sur tant d’années à
employer.
parmi tout ce qui renverse, sous-titré
Histoire d’Il, vient prolonger et terminer la phrase commencée avec Compris dans le paysage (Potentille,
2010), complétée par avec la terre au
bout (Atelier La Feugraie 2011) et emprunte un peu de sa forme générale à Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme
de Charles Augustin Sainte-Beuve ! Oui. C'est en effet à ce livre
injustement méprisé qu'on doit, au moment où naît ou va naître notre poésie
moderne, de voir pour la première fois le poète se dégager de la coûteuse
illusion de la transparence du sujet pour inventer et induire une lecture
"romanesque" de la poésie
lyrique.
jeudi 23 février 2017
INQUIÈTE PRÉOCCUPATION D’HUMANITÉ. NÉ SANS UN CRI D’AMANDINE MAREMBERT.
"Je
suis professeure de français. J'apprends à mes élèves à mieux parler et à mieux
écrire. Pour autant, je ne sais comment t'apprendre à parler cette langue
étrangère que sont les mots, pour te rendre le monde moins imprévisible et
effrayant. C'est toi qui m'enseignes la grammaire de tes gestes, la syntaxe de
tes postures, la ponctuation de tes respirations, l'accentuation de tes
sourires. C'est toi qui m'apprends à lire, écrire et compter tes
silences."
Bien sûr, il
est important de voir le beau livre d'Amandine Marembert comme un tendre et
douloureux témoignage de mère confrontée à l'énigme de son enfant autiste. Et
j'entends bien ce que me dit l'auteur des difficultés de tous ordres qui du
plan matériel, institutionnel au plan psychologique, intellectuel voire même
métaphysique, jalonnent le parcours d'une vie radicalement transformée par la
nécessité d'avoir à se continuer, se déployer, s'approfondir, le cœur saisi
d'une telle détresse.
samedi 18 février 2017
ABATTOIRS. ON N'A PAS LE DROIT DE COMBINER LES MAUX DE L'ÂGE ATOMIQUE AVEC LA SAUVAGERIE DE L'ÂGE DE PIERRE !
CLIQUER DANS L'IMAGE POUR DECOUVRIR LES TEXTES |
On appréciera,
j’espère, la largeur de vue de la Dame de Mount
Desert. Et comme elle s’y montre capable de donner sens à une forme d’habitation
du monde dont il semble que nous nous
éloignions chaque jour à grands pas.
Nous avons
complété ses propos par un extrait tiré de l’oeuvre de Jean-Christophe Bailly dont
nous ne saurions trop recommander sur le sujet, le livre intitulé Le Versant animal.
Et pourquoi
ne pas redécouvrir aussi l’extraordinaire ouvrage d’Upton Sinclair, La Jungle (1906), consacré aux célèbres
abattoirs de Chicago, un livre dont on dit qu’il amena le Président des Etats-Unis
de l’époque, à renoncer à consommer des saucisses à son petit déjeuner !
dimanche 5 février 2017
POUR UNE HYGIÈNE DE L’ESPRIT. UNE PENSÉE SANS ABRI. CHRISTIANE VESCHAMBRE AVEC LES LYCÉENS DE BOULOGNE ET CALAIS.
Christiane Veschambre au lycée Branly de Boulogne-sur-Mer |
L’école peut-elle se limiter aujourd’hui à des savoirs arrêtés ? À
la transmission de modèles ? De listes. De connaissances ou de dogmes à
réciter. Non. Et de moins en moins non ! À l’heure où la menace de l’enfermement
des esprits dans des systèmes de croyances visant à nier le droit de chacun à
sa propre différence alerte à juste titre sur ce que nous voulons sauver de nos
démocraties, il est bon de rappeler que la pensée véritable, celle qui fait
avancer, est toujours sans abri.
jeudi 2 février 2017
MERCI À LA REVUE DÉCHARGE !
Cliquer pour consulter la revue |
La
très riche et attentive revue en ligne Décharge
vient de consacrer sous la plume d'un de ses principaux animateurs, le poète
Claude Vercey, une intelligente et utile présentation de notre toute récente anthologie de l'auteur bourguignon Pascal Commère.
Merci
à elle ! Et réjouissons-nous qu'existent toujours ces fidèles espaces où le travail des
poètes est vraiment accueilli dans un esprit d'ouverture qui n'exclut pas le
dialogue, éventuellement la critique et l'heureuse simplicité.
mardi 31 janvier 2017
HERBES. CONJOINDRE À NOUVEAU NATURE ET CULTURE ! AUGUSTIN BERQUE.
Herbes sur les bords du lac de Trakkai |
On le
sait. Durant des lustres, notre enseignement s'est complu à organiser son approche de la littérature et
principalement de la poésie autour de grands thèmes tels l'amour, la rencontre,
l'engagement, la femme et plus largement encore celui de la nature !!! Et c'est
de cette passion immodérée pour les concepts vagues et leur illustration
caricaturale qu'ont fini sans doute par apparaître autour de nous des générations
d'esprits manipulateurs et bavards davantage occupés de l'effet de leurs
paroles que de la relation qu'elles devraient entretenir avec ce que nous
appellerons, pour aller vite, le réel foisonnant qui non pas nous entoure mais
de fait, en partie, nous construit.
J'aurais aimé ici évoquer chacune des 12 contributions
qui à travers le regard du paysagiste, du critique d'art, du philosophe, du
géographe, de l'orientaliste, du jardinier, du botaniste, de l'écrivain, du
musicologue …. renseignent l'inépuisable réalité de ce qui se trouve recouvert
par l'idée en apparence si transparente et docile de l'herbe. La profondeur et
l'intérêt si divers de la plupart de ces textes font que chacun comprendra
qu'il fera mieux d'aller y voir de lui-même. Je m'attarderai simplement dans ce
billet sur la proposition de l'auteur de Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, Augustin Berque, qui, partant de l'expérience du
philosophe japonais Watsuji Tetsurô (1889-1960)présente à mes yeux le grand
mérite non seulement de souligner, ce qu'on sait bien, à savoir, le relativité
des cultures, mais celui surtout de nous entraîner à partir de là, à repenser
notre relation à la nature qu'il s'agit de retrouver non par un retour à la
sauvagerie primitive mais tout à rebours par un lent travail de réciproque
reconstruction.
Non,
pour Augustin Berque, l'homme ne se conçoit pas comme individu occupant une
place centrale dans un environnement conçu comme système interrelationnel
d'objets qui lui resteraient extérieurs, mais comme être fondamentalement,
constitutivement, engagé dans un milieu qu'il crée à travers les innombrables
relations qu'il entretient, tant sur le plan physique que symbolique avec le
monde. Ainsi rien ne serait plus faux qu'imaginer, pour parodier la trop
célèbre formule de Gertrude Stein, que l'herbe est de l'herbe est de l'herbe et
serait partout toujours de l'herbe.
Comme le découvrit Watsuji
Tetsurô lorsqu'il aborda - au printemps ! - la côte de Sicile, l'herbe d'Europe
n'a pas comme dans son propre pays soumis, lui au régime plus violent des
moussons, ce caractère de brousse impénétrable qui là-bas la fait figurer en
bonne place parmi les symboles du wilderness,
c'est-à-dire de la nature sauvage. Elle est amène et souple et se laisse
aisément dominer. Induisant un rapport particulier de la culture à la nature.
Rapport dont la tondeuse à gazon dont nous faisons tant de bruyants et
ravageurs usages dans nos jardins comme aux bords des chemins, me semble
toujours le très affligeant emblème.
De
fait, en faisant du cosmos un univers-objet et en soumettant le vivant à notre
mécanique, la science occidentale nous a coupés du monde. Et nous fait vivre
chaque jour un peu plus dans un monde de signes et d'abstractions qui certes,
nous confère une impression accrue de puissance, mais nous a fait perdre la
multiplicité des liens sensibles qui nous attachaient à l'ensemble des réalités
élémentaires avec lesquelles s'est tissé au cours des millénaires le milieu qui
constitue notre humaine et flexible habitation. Cela, on commence à s'en rendre
peut-être un peu tardivement compte, n'est pas sans affecter tant l'équilibre
psychique des individus que les grands équilibres naturels dont dépend la
survie plus ou moins harmonieuse des sociétés.
C'est
pour cela qu'à la manière des calligraphes japonais, qui distinguent 3 degrés
successifs d'écriture, il nous appartient sans doute, conclut Berque, après
avoir appris à écrire le monde en lui imposant la régularité (zhen) de nos lois, de retrouver une forme
d'écriture moins entravée, plus allante (xing)
puis de passer à une forme cursive, justement appelée "herbue" (cao),
par quoi nous parviendrons peut-être enfin à conjoindre à nouveau cette double
dimension de l'être et bien évidemment du monde que sont nature et culture.
Non à
partir des idées pures. Mais des réalités sensibles. De l'herbe. Évidemment.
mardi 24 janvier 2017
PUISSANCE DE LA POÉSIE. APOLLINAIRE ET CHARLOTTE DELBO. AUCUN DE NOUS NE REVIENDRA.
Egon Schiele, La Jeune Fille et la Mort |
Oui, amis
enseignants. Il pourrait être intéressant à l’école, plutôt que de trop
chercher à vouloir découvrir ce que peut bien signifier, en soi, tel poème
écrit il y a maintenant des siècles, de réfléchir à la nature de l’écho que des
lecteurs actuels, en fonction de leur situation propre, peuvent toujours percevoir
en lui.
C’est le 30
ou 31 mars 1902, un dimanche donc ou un lundi de Pâques, jour de résurrection,
que Guillaume Apollinaire, pénètre pour la première fois dans l’Alter Nördlicher Friedhof de Munich dont
les tombes aux allures parfois inattendues semblent surgir d’un flot de mousses
et de verdure. De ce qu’il ressent alors, découvrant - à l’intérieur de ce
qu’on appelait autrefois l’obituaire,
mot disparu remplacé dans notre franglais d’aujourd’hui par l’expression Funeral Home - une troupe impassible de
morts, gentiment préparés et bien allongés dans leur bière et qui semblent
l’attendre, on n’en saura rien que la fantaisie qu’après quelques vicissitudes,
il intégrera à son recueil Alcools, sous
le titre de La Maison des morts.
mardi 3 janvier 2017
EN 2017. L’ÉDUCATION ! POUR LA CONSTRUCTION D’UN AVENIR MEILLEUR, DURABLE ET FRATERNEL.
Tout sépare cette allégorie du feu peinte en 1566 par Arcimboldo
qui célèbre la puissance guerrière de l’Empereur Maximilien II de Habsbourg, à l’époque en
lutte contre Soliman le Magnifique, du tableau qu’à 14 ans, en pleine guerre
mondiale, Giacometti intitula La Paix
et qu'on peut découvrir à l’Albertina de Vienne.
Que les enfants qui tiennent ici
entre leurs mains, non une colombe blanche mais un merle sans doute - ce qui me fait
personnellement penser à l’admirable texte de Fabienne Raphoz sur le merle de
son jardin (dont on trouvera un extrait page 30 de notre Dossier Découvreurs 2013) - soient ce que nous avons de plus précieux et que l’avenir que nous leur
construisons constitue l’interrogation fondamentale qui devrait nous habiter
tous, voilà ce qui pour moi ne souffre plus discussion.
vendredi 30 décembre 2016
JACQUES LÈBRE. L’IMMENSITÉ DU CIEL.
RUISDAEL VUE DE HARLEM Détail MAURITSHUIS |
père, même pas dans la terre / (il a neigé à gros flocons pendant la
crémation) / réduit, désormais, / à l’immensité du ciel. »
Que devient l’être lorsque la vie
le quitte et que ce qui l’animait se voit arracher à son enveloppe
charnelle ? Qu’y a t’il d’être toujours, autour de nous ? Et quelles
limites d’espace, de temps, la conscience peut-être, la parole, le geste, et la
mémoire encore, peuvent-ils nous aider – même un peu - à franchir ?
Organisé autour de la disparition
de son père, Lucien, (1926-2008), le dernier livre de Jacques Lèbre, demeure
tout entier habité par cette forme supérieure et inquiète de sensibilité qui
fait d’un certain nombre de moments vécus, le frémissant lieu de passage et
l’éphémère réceptacle de tout ce qui, dans la vie et par le monde nous déborde.
Éprouve notre vulnérabilité. Réactive le sentiment de l’essentielle porosité de
notre être intérieur.
dimanche 11 décembre 2016
RÉACTIVER À CHAQUE INSTANT TOUT LE VIVANT DU MONDE. AUMAILLES, UNE ANTHOLOGIE DE PASCAL COMMÈRE.
CLIQUER DANS L'IMAGE POUR OUVRIR LE DOCUMENT |
« Comment
aimerais-je être lu ? Je ne sais trop… Sans doute lentement, très lentement.
Comme lorsque la voix pressentie la voix du poème — traîne sur les mots,
grignotant au passage noisettes quelques voyelles. Certains de ces poèmes
saisis dans un effet de ralenti — la vitesse c’est à l’intérieur — en une sorte
d’apprivoisement. Sans recueillement ostentatoire d’aucune sorte, en passant.
Généralement la poésie appelle une certaine distance, ici le poème semble
conjuguer distance et proximité — j’aimerais
dire prochitude —, « lointaine
approche » ainsi que le suggérait le titre
d’un livre précédent : titre long, ah ce qui ne sait pas finir… Car ces poèmes,
comme c’est presque toujours le cas en ce qui me concerne, furent écrits en
marchant, ou bien à vélo, c’est-à-dire selon l’allure d’une déambulation. »
C’est par ces mots qu’à notre demande Pascal Commère
répondait en 1997 aux élèves du lycée Branly de Boulogne-sur-Mer qui peu de
temps après allaient lui décerner le premier prix des Découvreurs.
Nous sommes heureux, quelque 20 ans plus tard, de
témoigner de notre fidélité à ce poète qui ne nous a jamais déçu – il en est
heureusement de nombreux autres – en publiant avec notre association cette
nouvelle anthologie dont nous espérons qu’elle permettra à un nouveau public de
découvrir son oeuvre. Une oeuvre dont nous pensons qu’elle pourrait bien, comme
nous l’indiquons en quatrième de couverture, « nous aider à reconfigurer autrement l’idée que nous nous faisons de
notre importance et de la nature de notre présence, ici, sur cette terre ».
vendredi 9 décembre 2016
LITTÉRATURE ENGAGÉE. UN LIVRE À FAIRE TRAVAILLER DANS LES CLASSES !
Cliquer dans l'image pour accéder à nos extraits |
« C’est pas l’affaire privée de quelqu’un, écrire. C’est vraiment se
lancer dans une affaire universelle. Que ce soit le roman, ou la philosophie.
» Ce n’est certes pas le livre d’Alice Ferney, Le Règne du vivant, qui vient d’être réédité en Poche après sa
publication en 2014 aux éditions Actes Sud, qui donne tort au propos que Gilles
Deleuze aura tenu dans son Abécédaire, confronté
à la lettre A de Animal.
Court, prenant, engagé, le livre d’Alice
Ferney qui s’insurge contre l’accaparement et la destruction par les humains de
l’espace naturel qu’ils se révèlent incapables de partager vraiment avec toutes
les autres formes de vie, mérite d’être proposé aux jeunes qu’il est en mesure
de sensibiliser à l’usage que nos sociétés dîtes avancées font du monde dont
elles s’estiment toujours, pour reprendre l’expression bien connue de
Descartes, « comme maîtres et possesseurs ».
mercredi 7 décembre 2016
OISEAUX RARES.
L'Albatros Louis Joos 2002 illustration pour les Fleurs du Mal de Baudelaire |
« Les oiseaux – entendez les poètes - sont de
piètres ornithologues » estime Michèle Métail en réponse à la question que,
pour marquer sa naissance, la revue marseillaise BÉBÉ vient de poser à une
quinzaine d’auteurs à propos de ce qu’est pour eux la poésie. Que savent-ils en
effet, « de l’échancrure d’une queue / des ailes spatulées / du vol sautillant
/ du bec aplati / du trait sourcilier ? ».
On est en droit de préférer cette frustrante
dérobade aux propos malheureusement trop apprêtés de certains dont on voit bien
que, modernes albatros, ils ne cherchent en rien à éclairer le lecteur, décidés
qu’ils sont avant tout à témoigner de toute la hauteur et de l’envergure de
leur vision créatrice. Et sans doute que la poésie crève aujourd’hui de cette
contradiction de moins en moins supportable qu’on voit entre la volonté qui
s’exprime légitimement chez les poètes de lui voir reconnaître une part plus
grande à l’intérieur de la cité et la façon qu’elle a encore chez certains de
se composer une langue, de se parer de formes - quand ce n’est pas simplement
d’emprunter des postures - accessibles seulement à de rares initiés.
vendredi 2 décembre 2016
IDENTITÉ. ALTÉRITÉ. PLASTICITÉ. COMMENT SORTIR DE SA RAINURE HUMAINE.
MASQUES ALASKIENS, CHATEAU-MUSEE de BOULOGNE-SUR-MER |
*
Je lis toujours avec intérêt les considérations
que Florence Trocmé publie dans son flotoir. Ce qu’elle vient d’écrire récemment au sujet de la traduction et peut-être
aussi sur la question de la mise en scène des grandes œuvres littéraires me
donne d’ailleurs envie de revenir un peu sur certaine des idées que je défends
à l’intérieur de ce blog.
Bien sûr, je partage a priori la considération qu’éprouve Florence
Trocmé pour le travail de P. Markowicz et son souci de rendre, avant tout,
compte du caractère d’altérité
des oeuvres composées dans des langues étrangères.
Il y a pour chacun, en terme
d’élargissement d’être, plus d’avantages
à concevoir la traduction comme un chemin vers l’autre qu’à la réduire à n’être
qu’une adaptation - à nos communes façons de voir, de penser, de sentir - du
système de représentations fondamentalement différent dans lequel s’inscrit
toute oeuvre produite dans une culture autre. Rien ne peut être plus triste
pour l’homme que de ne savoir pas, comme dirait Francis Ponge, sortir de sa rainure. Et s’empêcher ainsi de se dupliquer
constamment lui-même. Je partage à ce sujet les points de vue que développe
Marielle Macé dans son dernier ouvrage, qui prenant les
choses de manière très large, nous porte à reconnaître, non seulement dans la
pluralité des formes prises par la vie humaine, mais aussi dans l’immense variété des existences animales, ce qu’à la suite de Canguilhem
elle appelle des allures diverses de la
vie, des styles, et va jusqu’à distinguer dans la multiplicité même des
objets – je pense en particulier au passage qu’elle consacre aux instruments de
musique – autant de manières d’instituer des relations nouvelles avec le monde.
samedi 26 novembre 2016
CHAIRS ET COULEURS DES DÉBUTS DU CHRISTIANISME. LIRE LE ROYAUME D’EMMANUEL CARRÈRE.
FRA ANGELICO Noli me tangere |
C’est
pourquoi j’ai aimé le livre qu’Emmanuel Carrère a consacré à « enquêter » sur les chrétiens des
premiers âges et l’apparition de cet étrange, sinon même insensé système de
croyances* qui, né dans cette lointaine partie de l’empire romain qu’était
autrefois la Judée, a fini par rayonner sur la plus grande partie du monde
donnant au passage naissance aux cathédrales, à la musique de Bach, à la
peinture de Rubens, du Caravage ou de Fra Angelico...
Principalement
centré sur la figure de Luc, ce grec judaïsé originaire de Macédoine qui fut
l’un des principaux compagnons de Paul et auteur comme on le sait de l’Evangile
qui porte son nom ainsi que des Actes des
Apôtres, le livre de Carrère qui considère en partie Luc comme un confrère
en écriture, nous aide à donner chairs et couleurs, un peu d’épaisseur humaine
encore, à ces figures que l’ignorance de leur histoire réelle et notre
soumission aux images fabriquées, ont laissé se figer en traits grossiers sur
les toiles de fond de nos imaginaires. Richement documenté en dépit bien
entendu du caractère limité des sources qui nous sont parvenues, l’ouvrage nous
aide également à comprendre un peu les circonstances concrètes et les divers
enjeux, psychologiques, sociaux, politiques, intellectuels, moraux et pourquoi
pas aussi littéraires qui ont conditionné les tout débuts du christianisme et
conduit à sa progressive rupture avec le judaïsme.
mardi 15 novembre 2016
EN CHAIR ET EN MOTS. DÉSORDRE DU JOUR D’HENRI DROGUET.
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Les éditions Gallimard sortent
actuellement le tout dernier livre d’Henri Droguet, Désordre du jour. On sait le bien que je pense des inépuisables chahuts
de langue de ce poète charnu, charnel et un brin malicieux, faisant feu de tout
bois, que je lis depuis longtemps ... C’est toujours le même régénérant régal.
La même solide et robuste empoignade où s’opère une vaste saisie de mondes. La
même façon d’accuser le coup. D’être mortel. Et à la fois vivant.
lundi 14 novembre 2016
GRANDE EST LA PATIENCE DE LA PORTE ENTROUVERTE. ARIANE DREYFUS.
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Je commence à faire des poèmes quand la partie est perdue » affirmait Cesare Pavese. « J’écris parce que je vais disparaître » nous confie quant à elle Ariane Dreyfus dans le premier vers du poème liminaire de l’ouvrage qu’elle publie aujourd’hui aux éditions Flammarion. Au-delà des différences que l’avisé lecteur ne manquera pas d’établir entre ces 2 déclarations, à plus d’un titre antagonistes, c’est bien là reconnaître qu’un livre de poésie ne peut se réduire à proposer à ses lecteurs une simple promesse de plaisir ou de bonheur, mais qu’il doit également, et sans doute surtout, donner ou redonner, comme l’écrit de son côté le philosophe Paul Audi, « chance à la vie », « la chance pour ainsi dire de prendre de vitesse, à l’endroit même de sa chute, et avant tout effondrement possible, le destin de notre finitude. »
lundi 7 novembre 2016
VULNÉRABLE GÉNÉROSITÉ DE LA POÉSIE. STÉPHANE BOUQUET.
EDUARD OLE
PASSENGERS 1929
|
Merci
aux éditions Champ Vallon de m’avoir adressé le dernier livre de Stéphane
Bouquet, Vie commune. Ceux qui me
font l’amitié depuis quelques années de lire les notes que je consacre aux
poètes que j’estime savent tout le bien que je pense de l’œuvre de cet auteur
auquel j’ai consacré l’un des tous premiers billets de mon précédent blog (Voir).
L’ouvrage
aujourd’hui présenté ne fait pour moi que confirmer l’importance du travail de
cet auteur. Importance dont me persuadent moins les nombreux arguments que
pourraient avancer ma raison raisonnante ou la sorte d’évidence avec laquelle
le lisant, ses livres m’apparaissent sortir vraiment du lot commun. Non, si les
livres de Stéphane Bouquet comptent tant à mes yeux c’est qu’ils sont au
sens fort émouvants. Qu’ils
m’émeuvent. Par tout ce qu’ils réussissent à me faire sentir de ce désir
poignant qui nous anime d’une présence élargie aux autres et au monde. Sans
rien cacher de tout ce qui pourtant fait la vie moindre et fausse. Et solitude.
vendredi 4 novembre 2016
DE NOTRE POUVOIR DE LAISSER S’ASSÉCHER OU DE FÉCONDER NOS VIES. SUR LE DERNIER LIVRE DE MARIELLE MACÉ, STYLES.
CLIQUER DANS L’IMAGE POUR LIRE
NOTRE EXTRAIT DE STYLES
|
*
De quoi, de qui, sommes-nous les serviteurs ? D’un ordre social qui nous gouverne ? Des habitudes que nous avons contractées ? Des pulsions profondes qui inconscientes nous travaillent ? Des mystérieuses chimies de nos cerveaux ? Des langues pourquoi pas encore qui façonnent nos représentations du monde? Les raisons ne manquent pas à ceux qui ne veulent voir en l’homme que la triste, rumineuse et malhabile marionnette de jeux de forces multiples qui l’animent. En même temps l’empêchent. Pour ne lui concéder qu'une illusoire liberté.
Mais, si
loin d’être les administrés de vies
qui jamais totalement, c’est vrai, ne nous appartiennent, nous étions capables,
chacun à notre façon, d’investir les mille et une sollicitations du vivre ; et empruntant parmi les multiples formes qui nous traversent
celles qui trouveront matières à s’incarner, se prolonger ou se laisser
redéfinir, c’est selon, nous disposions du pouvoir d’affirmer, d’inventer, envers
et contre tout, cette singularité d’être que nous refuse un peu
vite l’esprit réducteur et conformiste du temps.
Je ne sais
si le tout dernier livre de Marielle Macé tranche dans la production
universitaire du moment. Je suis loin d’être au fait de tout ce qui se publie
aujourd’hui dans ces territoires qui m’ont toujours un peu effrayé, sinon
rebuté, par leur caractère de parole souvent étrangement inhabitée. Mais je
vois bien que son livre qui s’autorise régulièrement la confidence, est d’un
auteur « affecté » par son
sujet. D’un auteur qui du coup me
concerne. Répondant à certaines questions que, vivant, je me pose. Mettant
ainsi ses clartés, ses lumières, sur des choses que je sens.
Et si nous
pouvions un peu bricoler comme Sujets véritables, comme buissonnières libertés,
ces vies qu’on voit de plus en plus faites pour être assujetties ?
D’autres,
j’imagine, ont rendu compte de son livre. Le replaçant dans le grand concert
des productions intellectuelles de l’époque. En soulignant les vues les plus
pertinentes, en pointant aussi, c’est certain, les angles morts. J’y ai pour ma
part d’abord conforté l’admiration que j’éprouve pour le Michaux de Passages,
pour le Barthes de la Préparation du roman ... pour tant d’autres encore à commencer par le
Michel de Certeau de l’Invention du quotidien qui, l’un des premiers dans ma bien paresseuse évolution
intellectuelle, m’a fait comprendre comment perruquage et braconnage étaient non pas les deux mamelles de notre vie mais deux modes extraordinaires
par lesquels nous pouvons un peu bricoler
comme Sujets véritables, comme buissonnières libertés, ces vies qu’on voit aussi de plus en plus prêtes à être assujetties.
On reproche
aujourd’hui souvent aux colériques leurs excès. À ceux qui ne se retrouvent pas
dans les simplifications d’usage, leur élitisme. L’ouvrage de Marielle Macé
apportera à ceux-là qui ne sont pas très à l’aise dans le grand corps
d’habitudes empruntées de l’univers social actuel, une sorte de légitimation de
leurs mauvaises manières. Loin de
n’être que pure recherche de distinction, affirmation énergumène ou posture, le
souci obstiné de nuances, le refus des connivences ordinaires, comme
l’emportement face aux façons de vie jugées insupportables, sont pour Marielle
Macé à mettre au crédit de certaines sensibilités qu’elle n’hésite pas à
qualifier de poétiques, émanant de dispositions d’être quasi sismographiques
capables de repérer mais aussi d’évaluer, les grands mouvements profonds qui
affectent les sociétés et menacent par certains de leurs aspects de les rendre
en partie inhabitables. C’est ce qu’elle montre à travers les exemples de
Baudelaire et aussi de Pasolini dont elle explique qu’il fut
celui qui le premier l’ouvrit au désir d’étudier, au-delà des groupes et des
individus, les formes particulières prises par la vie. Ses styles. N’en
vitupérant celles qu’il voyait émerger de son temps que dans la mesure où elles
étouffaient, selon lui, les chances de l’apparaître humain.
Se
délivrer totalement de « l’abcès d’être quelqu’un ? »
Loin ainsi
de nous entraîner à la célébration narcissique des petites différences,
pratique malheureusement bien connue de divers milieux poétiques, c’est à
partir d’une conception élargie, inquiète et toujours en devenir, du processus
d’individuation affectant ce que nous
tenons parfois frileusement pour nos identités, que Marielle Macé s’ingénie à valoriser en l’homme cette capacité
d’attention qui permet d’éprouver de nouvelles relations avec le monde et de
reconnaître autour de soi pour tenter de les comprendre, d’autres compétences
de vivre.
Cela ne va
bien sûr pas sans problèmes. Car, si, comme l’écrit Michaux, l’attention portée
à la foule des propriétés, des façons, qui de partout nous traversent, nous
délivre heureusement de « l’abcès d’être quelqu’un », il faut quand
même un peu de fermeté pour qu’une forme existe. Et nul ne prétendra voir dans le Léonard Zelig imaginé par Woody Allen - tour à tour obèse, grec, rabbin,
noir, nazi, évêque, jazzman, politicien, pilote d'avion, psychanalyste... et à
qui il suffit d'approcher une espèce, une communauté ou une simple personne
pour en épouser immédiatement les caractéristiques - la figure idéale d’une
individuation parfaitement aboutie.
Non. S’il importe, toujours pour reprendre Michaux, de ne
jamais se laisser enfermer dans son
style, toutes les formes ne nous conviennent pas. Certaines sont pour nous plus
fécondes, entraînantes, que d’autres. D’autres inversement nous seront
mortifères. Ou nous ne saurions rien en faire. En fait, nous fait mieux
comprendre Marielle Macé, les formes de vie que le monde et sa puissance
constante d’invention, de renouvellement, nous propose, ne devraient jamais nous
laisser indifférents. Elles réclament au contraire la plus grande
ouverture et la plus grande vigilance. Car, comme le dit si bien aujourd’hui
le philosophe François Jullien, elles constituent pour nous des ressources. Manière pour chacun, non d’endurcir
et d’exalter sa propre identité, mais de tester la plus ou moins grande fécondité,
comme dirait Jean-Christophe Bailly, de l’humus particulier sur lequel il fait
sa vie.
mercredi 2 novembre 2016
MORT D’UN PERSONNAGE. SUR LAME DE FOND DE MARLÈNE TISSOT.
Mon pere est mort, Dieu en ayt
l’ame,
Quant est du
corps, il gyst soubz lame…
François VILLON
Le Testament
Je viens de
lire le petit livre de Marlène Tissot Lame
de fond, produit par La Boucherie littéraire de l'exigeant Antoine Gallardo que je remercie bien de me
l’avoir adressé et j’aimerais en dire ici quelques mots qui viendraient
rendre justice à l’émouvante et fragile sensibilité de son auteur. À la façon
juste aussi qu’elle a de rendre compte de ce que l’idiotie contemporaine
appelle le travail du deuil et qui n’est que le jeu millénaire des façons par
lesquelles les vivants, comme ils peuvent, s’accommodent de la disparition ou
de la perte d’autres qui comptaient, en profondeur, pour eux.
MOTHERWELL DANS LA CHAMBRE D'AMOUR |
Pas
nécessaire en fait de savoir si le disparu dont il s’agit dans le livre de
Marlène Tissot est son père, son grand-père, quel était son âge véritable ou la
place précise qu’il occupait dans la vaste configuration sociale hors de
laquelle il est de plus en plus difficile pour chacun de trouver à se
définir... Je ne retiens du livre que la possession d’une modeste habitation au
bord de la mer vers Cancale, une certaine qualité de lumière insaisissable au
bord des yeux, l’odeur tout à la fois âcre et douce d’un vieux pull marin... et
surtout cette capacité qui n’est pas seulement de paroles que possèdent
certains êtres de nous rendre le monde plus large à habiter (p. 48). «Cours, ma belle ! Nage dans le ciel »
[...] Avec toi tout est permis. Avec toi on chahute l’apparence des choses
ordinaires, on colorie le monde. Avec toi, je nage dans le ciel, je suis une
sirène qui ne craint pas la mer à boire. »
Certes, nous
ne manquons pas de livres commandés par les morts1. Et peut-être n’existe-t-il
d’ailleurs de vrais livres que ceux-là que nous inspirent la perte et la
nécessité encore, non d’en guérir ou d’oublier, mais comme le disait Char, d’en
faire l’aliment d’une plus grande capacité d’être. L’ouvrage de Marlène Tissot
avec justesse et discrétion en fournit à mes yeux une nouvelle preuve. Lui qui finit
par nous faire comprendre qu’on ne réinvente ceux qui manquent qu’en en
projetant devant nous la vivante couleur et qui se termine par ces lignes bien
belles : « Dans ta cage
thoracique, l’oiseau a cessé de chanter. Mais ses ailles palpitent encore en
moi. Comme s’il s’apprêtait à m’envoler. Tu m’avais prévenue : « Tout
n’est que commencement ». Et aujourd’hui je suis prête à te croire, prête
à laisser ta fin devenir un début . »
NOTE :
Parmi les œuvres
majeures auxquelles je pense, je ne saurais trop inciter le lecteur à se
tourner vers les livres de Frank Venaille et tout particulièrement Hourra les morts ! qui compte en
particulier un texte tout à fait extraordinaire évoquant la crémation de son
père (voir un commentaire que nous avons jadis réalisé pour des élèves de lycée).
Chacun se souviendra également du Pas
revoir de Valérie Rouzeau, prix des Découvreurs 2001. Sans oublier, pour
rester dans le champ des auteurs pour lesquels nous avons de l’amitié, le beau
livre d’Edith Azam Décembre m’a ciguë chez POL ou celui d'Olivier Barbarant,Élégies étranglées dont le commentaire que nous en avons donné il y a quelques années peut largement trouver à s'appliquer à l'ouvrage de Marlène Tissot.
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