C’est effectivement le travail des artistes. Des
écrivains. Des penseurs. Et bien entendu des poètes. Il serait toutefois
dangereux de minimiser les difficultés d’une telle entreprise. Tant la réalité,
si tant est qu’on puisse comme ça la désigner singulière, sidère. Tend à celui
qui voudrait la regarder en face –pas à partir de ses simples réflexes mentaux
- son visage pétrifiant de Méduse.
« Un profond bouleversement de l’intelligence qui fait qu’on ne parvient pas à trouver ses mots »
Le poète Blaise Cendrars a connu, lui qui s’est
volontairement jeté au cœur de l’épouvantable réalité de la première guerre
mondiale, ce profond bouleversement de l’intelligence qui fait qu’on ne
parvient plus à trouver ses mots, ses mots de poète, qui pourraient donner sens
et l’on sait que contrairement à d’autres, comme Apollinaire par exemple, il ne
se sentit plus en mesure – à l’exception d’ailleurs très significative de La Guerre au Luxembourg – d’écrire le
moindre vers. Et dut attendre la seconde guerre mondiale avant de pouvoir
évoquer sa propre blessure et de le faire, en prose.
Revenant en 1949, dans le Lotissement du ciel, sur ces moments où, soldat, il guettait à
son créneau la nuit couvrant le no man’s
land, il affirme qu’il ne trouve pas de réponse autre au terrible spectacle
de la condition humaine « jetée en
holocauste sur l’autel féroce et vorace des patries » que le refrain
de la Légion, ce refrain qui, écrit-il, « vous fait franchir les parapets de la raison ».